L’alignement des valeurs pour un manager

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Auteur

Patrick Probonas

Date de publication

10/21/2021

De nombreux cadres aspirent à un poste de management. C’est légitime dans une perspective de carrière en progression. C’est aussi un signe d’engagement au sein de leur entreprise. Cependant, loin d’être anodine, cette ambition implique un exercice que bien peu pratiquent : l’alignement entre soi-même et ses nouvelles responsabilités. De quoi s’agit-il ? l’alignement des valeurs, pour un manager, est la mise en cohérence des éléments constitutifs de sa nouvelle fonction avec ses valeurs personnelles. Comment « s’aligner » dans ce cas de figure ?

L’exercice de l’alignement des valeurs personnelles et professionnelles

Pour parvenir à la cohérence comportementale dans la pratique de sa fonction, pour s’y trouver à l’aise, le manager va aligner tous les éléments constituant son univers. L’alignement des valeurs, pour un manager, va consister à trouver l’adéquation acceptable entre ses principes de vie et les contraintes de son rôle professionnel. Cela va au-delà des limites étriquées du seul cadre du travail. C’est là que se confrontent la vision du monde du manager (la personne) et sa manière d’envisager celle que lui propose sa direction (le rôle) et, plus généralement, les valeurs et la culture de l’entreprise. Les deux sont-elles compatibles ?

Des questions structurantes

Nous savons qu’il est destructeur de se voir tiraillé entre des forces contradictoires. Elles compromettent les valeurs fondamentales pour sauvegarder une position, même prestigieuse ou rémunératrice. Cette étape de la réflexion invite le manager à mesurer si l’impact de ses décisions ne risque pas de revenir en boomerang pour le déséquilibrer en regard de ses principes de vie. Les questions que l’on se pose en l’occurrence sont surtout éthiques : Le manager aura-t-il la possibilité de donner du sens à son travail, d’assurer une attention égale pour tous malgré les différences ? Pourra-t-il agir avec justesse en toutes circonstances, même en cas d’injonctions arbitraires imposées par le haut ? Son périmètre d’action lui permettra-t-il d’assurer un équilibre acceptable entre son devoir et sa capacité morale à l’appliquer ?

Ces questions sont structurantes et nécessitent une clarification dès la prise de fonction. Elles se posent aussi tout au long de la mission.  Car un être humain peut plier sous les rafales jusqu’à une limite au-delà de laquelle il perd la maîtrise. Cette limite dépend de la souplesse et de la résistance de chacun face aux pressions psychologiques internes et externes.

Des conséquences sur le corps et l’esprit

Lorsque le point de rupture risque d’être atteint, il arrive souvent que le corps envoie des alertes sous forme de douleurs, là où on est le plus fragile : des articulations douloureuses, des maux de tête récurrents, un dos récalcitrant, etc.

Et comme un ennui n’arrive jamais seul, l’esprit s’y met aussi. On s’enferme dans des boucles de pensées sans issue. L’anxiété s’installe, chasse le sommeil et empêche toute perspective. On devient nerveux, agressif ou absent. Si ces alertes sont mises de côté quand elles surviennent, le mal va s’étendre. Il peut finir par terrasser la personne, physiquement. J’ai assisté à un épisode de ce type :

Un processus de dégradation lente

Un directeur commercial expérimenté jouait le rôle de tampon entre les salariés et leur chef d’entreprise. Ce patron de PME, caractériel, agressif, feignait d’oublier de payer les primes sur objectifs. Il critiquait le travail de tous. Il demandait toujours plus d’efforts et de résultats. Il harcelait les gens et était très intrusif. Il donnait des leçons verbales d’efficacité en démontrant chaque jour le contraire par son comportement erratique.

Étant parfaitement honnête dans un sens et dans l’autre, le directeur commercial se retrouvait coincé par un double devoir : D’une part, il se faisait fort de respecter ses engagements contractuels et moraux envers son patron. Il veillait à produire les meilleurs résultats possibles. D’autre part, il dirigeait son équipe en prenant soin de la protéger des décisions injustes de ce même patron et de ses attitudes déstabilisantes. Il promouvait les initiatives, analysait froidement les situations de réussite ou d’échec. Il prenait soin de transmettre aux collaborateurs des réflexes d’excellence utiles à leur progression.

Quand on craque…

Sa charge de travail, importante, la pression du chiffre et cette gestion multi relationnelle complexe ont transformé sa mission en enfer physique et psychologique. Apprécié, mais très sollicité par ses collaborateurs, harcelé, dénigré par son directeur, ce cadre a tenu le choc pendant trois ans avant de craquer, un jour de mai. Il perdit connaissance lors d’une réunion de travail. Transporté d’urgence à l’hôpital, le diagnostic a conclu à un état de burn-out, bien connu par les professionnels de santé et des ressources humaines.

De nombreux salariés, cadres ou non, subissent cette triste expérience. Ils s’en relèvent, certes, mais après un long moment de reconstruction. Ils ont été, en quelque sorte, brisés par des tensions fortement contradictoires. Soit, ils se sont désalignés de leurs valeurs, soit ils ont tenté, à toute force, de les ajuster à une réalité brutale jusqu’à en tomber, physiquement. Les compromis sont évidemment toujours possibles. Les responsabilités obligent à des décisions parfois difficiles ou à des contorsions morales discutables.

La charge émotionnelle doit rester acceptable

Cependant, la charge émotionnelle doit rester acceptable. Elle devrait se cantonner à des limites moralement supportables pour le bien de la carrière, l’atteinte des buts ou l’estime de soi. De nombreux cadres d’entreprise, d’indépendants, d’agents administratifs et d’autres encore vivent, en ce moment même, ces situations de désalignement avec leurs valeurs personnelles du fait d’un environnement trop contraignant.

C’est une épreuve difficile quand on est seul à l’affronter. Les signes avant-coureurs, évoqués plus haut, dépendent de chacun. Mais, s’ils apparaissent, ils sont une demande de soutien ou, au minimum, de changement. Veillons à les prendre en compte avec sérieux.

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